mercredi 21 août 2019

Dialogue avec Magali Fontargente

Nous publions aujourd'hui une des premières interviews réalisées depuis la publication de Maliarka. Elle n'a pas été filmée et son "auteur" souhaite rester anonyme, histoire, précise-t-il de rester dans l'atmosphère mystérieuse du roman... J'adore le concept ! Au terme d'interview, nous préférons celui de dialogue, car c'est bien de cela qu'il s'agit, un dialogue lecteur-auteur sur la genèse de Maliarka. Un dialogue qui commence, une fois n'est pas coutume, par une question de l'auteur (MF) au lecteur (→)...

M.F. Pouvez-vous exposer en quelques mots le principe de l’interview, enfin, du dialogue tel que vous me l’avez proposé ?
g Poser mes questions en tant que lecteur, sans caméra, autour d’un café, en me glissant dans la peau du messager-mystère qui dépose les petits papiers dans la boîte aux lettres de Maliarka… Comme ça, les lecteurs de l’interview retrouveront un peu le suspense du roman…
MF. C’est parti ! Musique !

g Alors, justement, l’aspect musical de l’œuvre ne peut pas échapper au lecteur, d’abord à cause du sous-titre « roman musical », mais aussi à cause des titres de chapitre, qui renvoient tous à un mouvement musical spécifique… Avez-vous travaillé ce roman un peu comme une œuvre musicale ?
M.F. Oui, j’ai bien le sentiment d’avoir « composé » Maliarka comme une partition, mais aussi comme un tableau, avec deux personnages principaux, Maliarka et Clément, qui incarnent respectivement l’ouïe, et la vue. Maliarka et Clément forment un couple et ils sont aussi complémentaires que l’ouïe et la vue. Je suis de la génération du cinéma et des comédies musicales, qui associent les arts, sollicitent tous les sens. Je voulais essayer de créer une œuvre littéraire un peu à l’image d’une comédie musicale, quelque chose qui mêle la musique et les arts visuels. C’est pourquoi chaque chapitre possède son propre tempo. Mais le mouvement général est clairement calqué sur la musique tzigane, avec différentes vitesse d’exécution, des phases mélancoliques, qui s’étirent, et puis des accélérations, des trilles…

g Justement, pouvez-vous nous parler de votre intérêt pour la culture tzigane ?
M.F. Je distingue deux aspects particulièrement intéressants dans la culture tzigane : la relation à la musique, d’une part, et la relation à l’espace et à la propriété de l’autre. Pour ce qui est de leur rapport à la musique, elle pose la question de l’enseignement de la musique, en gros, la part de la science et la part de l’intuition dans l’éducation musicale. Quant à la question de la propriété, elle se pose en filigrane, dans le roman, à travers le sort du Madrigal et l’enjeu autour de la Place de Bologne.

g C’est donc la musique tzigane qui vous a inspiré Maliarka ?
M.F. Pas uniquement. Ma première inspiration, c’est la chanson de Serge Reggiani : Le Temps qui Reste. Cet air, je l’ai eu en tête durant toute la composition de Maliarka. Ces notes de piano, la voix brisée de Serge Reggiani qui répète : J’ai pas fini ! J’ai pas fini ! C’est une émotion que j’ai pris en pleine face lorsque je l’ai entendue pour la première fois. C’est d’une tristesse et d’une beauté ! « La bonne musique ne se trompe pas et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore ». Je partage totalement le sentiment de Stendhal. La musique, et l’art en général, transforment la douleur en beauté. C’était peut-être ça, le sens à trouver à l’existence de Maliarka, à la mienne…

g C’est sûr qu’en lisant Maliarka, on ne peut pas s’empêcher de penser que c’est l’œuvre de quelqu’un hanté par le temps qui passe. L’écriture de ce roman était-elle pour vous une façon d’apprendre à apprivoiser le temps ?
MF : Le temps est une composante dans toutes les œuvres. Dans Maliarka, c’est quasiment le personnage principal. Je ne sais pas si le temps s’apprivoise, il s’impose à nous. Tout ce qu’on peut faire, c’est essayer de lui donner un sens. On a besoin de sens. D’ailleurs, Maliarka est moins effrayée par la durée du compte à rebours que par l’absence de sens de ce compte à rebours. Durer sans but, sans projet, sans perspective, c’est ça la vraie terreur.

g L’écriture vous a-t-elle permis d’exorciser cette terreur ?
M.F. Au moins trouver du sens. Et avant même de chercher des réponses, éliminer toutes les questions superflues pour n’en conserver qu’une seule : que faire du temps qui reste ? Que faire jusqu’au terme du compte à rebours ? Voilà le sujet du roman. La prise de conscience qu’il y a un compte à rebours et ce que je décide d’en faire. Quel sens peut-on donner à cette absurdité qu’est la vie si on n’y injecte pas sa petite musique ?

g Votre personnage principal est une musicienne accomplie, mais n’aime pas la littérature. Elle n’en comprend pas les codes. C’est un monde énigmatique et effrayant pour elle. Pourquoi avoir dépeint une héroïne qui n’aime pas lire ?
MF. En littérature, comme  dans l’art en général, il y a une approche ʺsavanteʺ et une approche émotionnelle. Je crois que ces deux approches s’influencent mutuellement. On peut être touché par une œuvre et avoir envie de la décortiquer pour mieux la comprendre, mais on peut aussi accéder à l’émotion après avoir fait l’effort d’analyser l’œuvre. Maliarka, elle, a un problème avec l’approche scolaire, c’est-à-dire l’approche savante, quelle que soit la discipline. L’école privilégie, en France du moins, la transmission verticale du savoir, essentiellement par support écrit. Maliarka fait partie de ceux qui rentrent difficilement dans ce moule d’apprentissage. Son entourage est composé d’un compagnon, qui est prof dans un grand lycée toulousain, donc tout ce qu’il y a de plus académique, d’un père qui représente la transmission ancestrale, familiale, et d’une mère auprès de qui elle a appris – avec succès – la musique hors cadre scolaire. Je pense que ces trois modes de transmission des savoirs sont complémentaires et qu’on perd beaucoup à n’en utiliser qu’un.

g On sent bien que vous réglez vos comptes avec l’école, ou du moins le système éducatif, à travers, notamment, le personnage de Basile, étudiant brillant mais complètement indiscipliné, rebelle…
MF. J’aurais beaucoup de choses à dire à ce sujet. Dans Maliarka, je suis loin d’avoir fait le tour de tous les dysfonctionnements du système éducatif, de tout ce qui m’insupporte dans ce système. Basile vient insuffler un peu de fraîcheur et d’humanité dans ce monde qui sent le renfermé et le vieux papier. Il rappelle que l’école effectue avant tout un travail de sélection sociale, planqué derrière des discours dégoulinant de bienveillance et ʺd’égalité des chancesʺ (pour une belle analyse de ce paradoxe, l’égalité des chances, je vous renvoie à la conférence gesticulée de Franck Lepage sur l’Education Nationale…).

g Tiens, tiens ! Lepage… C’est le nom de famille de Basile, justement. Un hasard ?
M.F. Non, évidemment. C’est un petit clin d’œil à Franck Lepage, quelqu’un dont l’analyse m’a permis de structurer ma colère, en quelque sorte, d’en faire autre chose qu’un mouvement d’humeur.

g Le roman est ainsi truffé de symboles, de références, d’échos. On devine que les nombres, les noms de lieux, de personnages, constituent une sorte de rébus…
M.F. Oui, il y a beaucoup d’allusions, de clins d’œil. Bien sûr, les nombres et dates n’ont pas été choisis au hasard. Bien sûr, les toponymes et patronymes n’ont pas été choisis au hasard. Le lecteur peut s’amuser à retrouver leur sens... ou pas. Il n’y a pas une réponse juste et unique  à trouver. Le charme de la littérature, c’est la polyphonie, c’est la vibration, ce sont les jeux d’écho, la multiplicité de sens. C’est pour ça qu’il y a toujours une part qui échappe à l’auteur, la part qui appartient au lecteur…

g Pour ma part, je perçois Maliarka un peu comme un Escape Game littéraire : d’abord parce qu’il y a, au début du moins, un sentiment d’enfermement. La loge de cette gardienne est un univers clos. Tout est très fermé et oppressant. On navigue dans un dédale de petits passages, de cours, de ruelles. La Place de Bologne est comme « étouffée » par les immeubles qui l’entourent. L’appartement de Clément est décrit comme une espèce de sanctuaire au fond d’une cour, derrière une grande porte cochère. Bref, on a un sentiment presque de claustrophobie, jusqu’au moment de la fuite en Ariège, où, là, le paysage s’ouvre (mais il y a quand même les montagnes !) C’est ce qui fait qu’on a l’impression jusqu’au bout que tout ça va se terminer entre quatre planches…
MF. (rire) C’est très bien vu. Je ris parce que j’ai une peur-panique de l’enfermement et il y a là sans doute une lecture psychanalytique à faire… Mais, vous avez raison, l’espace joue un grand rôle aussi dans le roman : dès le début, Maliarka – d’origine Tzigane, rappelons-le - s’interroge sur son lieu de vie. Doit-elle partager un toit avec son compagnon, Clément ? Quelle distance doit-elle mettre avec son père ? Et puis, il y a la question du Madrigal et de ses occupants menacés d’être délogés. Et enfin, il est question aussi d’espace public et d’espace privé. Il y a, en gros, le constat effarant qu’on cloisonne de plus en plus les espaces, qu’on privatise tout, que les gens s’enferment, s’isolent. La vie sociale dans les espaces publics de la ville se transforme. On se parle à travers des téléphones, des interphones. Et, en cloisonnant l’espace, on brise d’autant plus facilement les solidarités.

g Du coup, le séjour en Ariège de Maliarka correspond à une sorte de rupture de tempo, comme une respiration dans le roman…
M.F. Oui, c’est un moment décisif. C’est un temps de retour sur le passé avec la figure du père, qui représente les origines et toute son histoire familiale. C’est aussi un moment où Maliarka s’extrait de la ville, donc de la société, pour se retrouver dans un lieu surnommé l’Ermitage. Tout un programme ! C’est un moment d’introspection, une epiphany, diraient les Anglais, une sorte de révélation, inspirée à la fois par le fantôme de la mère, qui symbolise le côté éphémère de la vie, et par la voix du père, qui l’incite à résister.

g Mais vous ne parlez pas seulement de résistance dans le sens politique du terme. Vous évoquez plusieurs formes de résistance…
M.F. L’idée de résistance part de l’évocation de l’inscription d’une Camisarde dans la Tour de Constance. C’est résister à l’intolérance, à l’injustice, à l’oppression. C’est résister individuellement et collectivement. Et dès lors que Maliarka commence à inscrire son combat individuel dans la lutte collective, elle devient plus forte, mais aussi plus apaisée, plus déterminée. Elle a trouvé du sens à ce temps qui reste…

Alupka, Crimée
Aquarelle de l'exposition
Eastward, les Chemins de l'Est
2002.
g Justement, ces inscriptions dans la pierre… Lors de votre exposition d’aquarelles à Perpignan, en 2003, sur le thème Les Chemins de l’Est, un visiteur vous avait dit que vous aviez « la passion du minéral ». Ces pierres ne contiendraient-elles pas un secret, un message codé, peut-être ?
M.F. (rires) Vous êtes très bien renseigné… Effectivement, j’ai peut-être un certain goût pour le minéral, mais ma vraie passion reste le vivant, quand même… La différence entre le minéral et le vivant, c’est la durée, justement. La pierre conserve longtemps le message. Contrairement aux petits papiers dans la boîte aux lettres qui représentent l’éphémère, la pierre symbolise ce qui dure, ce qui résiste au temps. Le roman fait allusion à deux messages inscrits dans la pierre – parfaitement authentiques, d’ailleurs – deux messages de prisonniers, l’un dans le Château de Foix, l’autre dans la Tour de Constance. La démarche est la même : le captif veut laisser une trace de son passage à cet endroit, de ce qu’il a enduré, d’un sentiment. Une trace de vie. Ce qui est frappant, en revanche, c’est la différence de ton : l’un est un message de désespoir - il faut croire que tout m’abandonne - alors que l’autre est un cri d’insoumission – résistance ! Il fallait que Maliarka arrive à cheminer de l’un vers l’autre, et c’est ce qu’elle fait au cours de son séjour en Ariège.

g Les thèmes abordés sont donc nombreux, les questions posées sont vastes et vous compactez tout ça en 140 pages… Ce n’est pas un peu court pour quelque chose d’aussi ambitieux ?
M.F. C’est vrai que j’ai voulu aborder beaucoup de thèmes en peu de pages... On me reprochera peut-être de l’avoir fait trop superficiellement, mais bon… Un menuet, c’est plus court qu’un opéra. Est-ce que c’est plus superficiel ?

g La fin est… déroutante. J’ai d’ailleurs eu vent de questionnements de lecteurs qui se demandaient qui avait finalement mis les petits papiers dans la boîte aux lettres de Maliarka. Pouvez-vous, sans trahir la fin, leur donner un petit indice ?
M.F. Hmmmm… Cherche encore ! (rires)

g A travers ce que vous dites, j’imagine que vous avez dû beaucoup réfléchir au mot de la fin, ou plutôt, à la note finale ?
M.F. Le mot de la fin, je l’avais depuis le début. Il fait écho au premier. La vraie difficulté, c’était moins de finir que d’essayer de ne pas finir.  Ce n’est pas facile de finir, de boucler. Quand décide-t-on que c’est fini, d’ailleurs ?… Ce n’est pas pour rien que le dernier chapitre s’appelle Smorzando… Ce n’est pas vraiment une fin. En anglais on le traduit par dying away. C’est le son qui s’évanouit lentement, comme ça, jusqu’au silence. Une façon, un peu comme Serge Reggiani, de crier : J’ai pas fini ! J’ai pas fini !


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